Le groupe ZERO
n°388
interview de Otto Piene, Heinz Mack et Günther Uecker par Heinz-Norbert Jocks
Après la guerre, dans une Allemagne en ruines, de jeunes artistes se réunissent pour tout recréer à partir de… zéro. Ils organisent des expositions-événements et fondent la revue Zero, reprenant le nom d’un groupe japonais d’où est issu Gutaï. Dans la logique des avant-gardes, le groupe a un rayonnement international, nouant des liens avec, outre le Japon, la France (Klein, Arman), l’Italie (Fontana, Manzoni, Castel- lani), les Pays-Bas (groupe NUL).
La conversation ci-dessous a eu lieu à l’occasion de la rétrospective au Museum Kunst Palast (présentée ensuite à Saint-Étienne) en 2006. C’était la première fois que les principaux acteurs du mouvement se retrouvaient en public depuis sa dispersion. Deux ans plus tard, les mêmes, avec Mattijs Visser, créaient la Fondation Zero. Une rétrospective des œuvres du groupe se tiendra au Neuberger Museum (NY), en 2013.
Otto Piene, la raison première de la fondation de ZERO, à la fin des années 1950, ne se réduisait pas à la volonté de multiplier les occasions d’exposer vos œuvres. Il s’agissait d’une volonté de se démarquer de l’art informel alors en vogue, ainsi que d’une réaction à l’égard de la Seconde Guerre mondiale. Après l’Europe, le rayonnement de ZERO s’est étendu des États-Unis au Japon. Aviez-vous pressenti cela lorsque vous vous êtes réunis pour la première fois en 1958 ?
Otto Piene Il nous était impossible d’espérer quoi que ce soit tant notre marge de manœuvre était étroite à cette époque. Tout a débuté à Düsseldorf, c’est-à-dire en Allemagne de l’Ouest, et plus précisément dans mon atelier, au numéro 69 de la Gladbacher Strasse. La situation politique et intellectuelle ne nous autorisait qu’une perception partielle de la réalité. ZERO est certes né d’une intention positive, mais également de la violence des pressions et des contraintes que nous subissions et dont nous voulions nous libérer. La naissance de ZERO est liée à une volonté de se projeter dans des directions nouvelles. Nous n’avions cependant aucune méthode. Tout s’est développé dans l’action.
UN ETRANGE SENTIMENT DE VIDE
Heinz Mack, vous avez déclaré que ZERO participait de l’exorcisation des démons de la Seconde Guerre mondiale.
Heinz Mack Nous sommes issus d’une génération à laquelle on a inculqué une vision du monde extrêmement étriquée. Nous avons grandi dans une Allemagne totalement isolée, et, après la guerre, la nécessité d’acquérir une meilleure connaissance du monde s’est imposée d’elle-même. ZERO est né d’une soif d’expériences. Le champ de la représentation nous a tout d’abord permis de parcourir le monde, alors que nous n’étions pas en mesure de le faire concrètement. Pour donner un sens à nos rêves, il nous a fallu les réaliser, ne serait-ce que partiellement. Et pour rêver après une telle guerre, une bonne dose d’énergie intellectuelle, de force et de courage fut nécessaire. En d’autres termes, nous éprouvions tous les trois un grand désarroi et un profond désenchantement, que nous avons dû surmonter pour accéder à ce qu’on appelle la liberté de création.